SCP et comptes courants d’associés – Comment s’assurer de la bonne affectation du résultat ?
Depuis le 1er janvier 2011 et suite aux dispositions du règlement ANC n° 2014-03, les études de commissaire de justice sont sous l’obligation de tenir leur comptabilité en engagement quel que soit leur régime fiscal.
Si cela n’a posé aucune difficulté aux sociétés de capitaux, dont la fiscalité est basée sur la comptabilité d’engagement, il en est allé autrement pour les études individuelles et les SCP. En effet, celles-ci doivent depuis constamment jongler entre deux comptabilités :
– la comptabilité d’engagement dans laquelle est tenue leur comptabilité au quotidien tout au long de l’année
– la comptabilité de trésorerie à laquelle il convient d’aboutir en fin d’année afin de pouvoir télédéclarer ses résultats au SIE.
– et donc à chaque fin d’exercice, avoir deux résultats différents (l’un issu de la comptabilité d’engagement et l’autre de la comptabilité de trésorerie).
En effet, si la comptabilité est désormais obligatoirement tenue en engagement, la fiscalité pour les études individuelles et les SCP n’a pas été modifiée pour autant. Leur régime fiscal demeure les BNC avec une imposition des bénéfices toujours basée sur un résultat en trésorerie (encaissements moins décaissements).
Les questions que posent cette double comptabilité ont été réglées en temps utile, dès les premières années qui ont suivi le passage en comptabilité d’engagement.
Pour autant, il existe encore certaines études pour lesquelles les solutions d’usage et réglementaire ne sont pas appliquées de manière systématique. Au-delà de la simple erreur, certaines pratiques peuvent engendrer un risque fiscal et social significatif pour les associés. Certaines situations conflictuelles peuvent également naître selon les impacts générés par une répartition du résultat potentiellement erronée entre associés.
Comment retraiter sa comptabilité d’engagement en trésorerie ?
Quelles vérifications simples peut-on effectuer pour s’assurer que ce retraitement fiscal est correctement effectué sans être expert-comptable ?
Selon quel procédé affecter le résultat d’engagement en comptabilité quand les associés sont fiscalisés sur le résultat de trésorerie ?
C’est ce que nous allons récapituler dans cet article, de manière simple et pédagogique.
1- Comment vérifier que le retraitement fiscal est correctement effectué ?
Toutes les études fiscalement en BNC (ou tout du moins leurs experts comptables) ont mis en place un mode opératoire permettant, en fin de chaque exercice, de retraiter la comptabilité d’engagement et la transformer en comptabilité de trésorerie, afin de respecter les dispositions fiscales et soumettre à impôt le bon résultat.
Quelques vérifications simples peuvent être effectuées :
a- sur la liasse fiscale, une fois le retraitement fiscal réalisé. Si celui-ci est correct, il doit ainsi figurer sur la liasse fiscale 2035 (page 2035 A) :
– en produits, doit figurer sur le feuillet 2035 A (ligne AD) le chiffre d’affaires encaissé sur l’exercice (à comparer avec l’état des produits encaissés) et non pas le CA facturé
– et en charges, (bloc 3 du feuillet 2035 A) uniquement les charges payées durant l’exercice
b- Sur la balance de trésorerie (contenant tous les comptes de la classe 1 à la classe 7), une vérification supplémentaire doit avoir lieu pour s’assurer que tous les comptes de tiers (notamment les comptes 401 Fournisseurs, 411 Clients ou 42 et 43 dettes sociales) ont été soldés (mis à zéro), ainsi que le compte 110 « Report à nouveau » (compte à zéro).
Si un ou plusieurs de ces comptes comportent encore un montant, cela signifie qu’il perdure potentiellement des dettes ou des créances (donc des engagements) en comptabilité de trésorerie, faussant ainsi le résultat obtenu.
2- Comment affecter le résultat ? Engagement ou trésorerie ?
a- Les principes
Reprenons donc les règles fiscales et les dispositions statutaires au sein d’une SCP (valable aussi pour les EI). Revoyons la procédure à suivre, qui permet, à partir d’une comptabilité d’engagement, d’obtenir une répartition du résultat de trésorerie, et qui respecte la répartition fiscale transmise aux impôts sur la liasse 2035.
1- Le passage en 2011, pour l’ensemble des études d’huissier de justice, à la comptabilité d’engagement quel que soit leur forme d’exercice, n’a ni modifié le régime fiscal de la SCP sous régime BNC, ni la méthode de calcul de la quote-part de résultat des associés d’une SCP déterminant le montant de leur droit à prélever.
2- Le droit de chaque associé provient exclusivement du revenu qui est soumis à l’impôt, à savoir le résultat en trésorerie, puisque la SCP est sous le régime fiscal des BNC avec une fiscalisation de son résultat en trésorerie (encaissements moins décaissements).
3- Il est important de noter que ce mode de répartition du résultat en trésorerie existe dans toutes les études de commissaire de justice dont la comptabilité est révisée par un expert-comptable maîtrisant les spécificités de la comptabilité des commissaires de justice et notamment la particularité imposant à cette profession de tenir une double comptabilité.
4- La comptabilité doit suivre la fiscalité. Si les impôts et les cotisations sociales des associés sont calculés sur la base d’un résultat en trésorerie, leurs droits à prélever sont nécessairement estimés sur ce même résultat de trésorerie, au prorata de leurs parts en capital et en industrie.
5- Tout autre pratique fait peser un risque fiscal et social important sur chacun des associés qui, en cas de contrôle fiscal, ne pourrait justifier de concordance entre les revenus effectivement perçus et les revenus déclarés.
b- Risque fiscal et social en cas de distribution erronée si un résultat d’engagement est supérieur au résultat de trésorerie
6- En effet, si le résultat d’engagement sert de base de répartition pour la distribution des droits en comptes courants des associés et que ce résultat d’engagement est supérieur au résultat de trésorerie, les sommes attribuées aux associés seront supérieures au résultat (de trésorerie) qui aura été déclaré aux impôts et aux organismes sociaux. Cette situation ferait naturellement peser un risque fiscal et social majeur sur les associés se retrouvant dans cette situation indélicate.
7- Par ailleurs, répartir le résultat en engagement (généré notamment par du chiffre d’affaires non encore encaissé) pourrait attribuer des droits à prélever aux associés supérieurs à la trésorerie disponible (risque majeur si un associé quitte la SCP avec un compte courant plus important qu’il ne devrait l’être).
c- Situation délicate en cas de résultat de trésorerie supérieur au résultat d’engagement
8- Dans le cas inverse, lorsque le résultat de trésorerie est supérieur au résultat d’engagement, la répartition de ce dernier dans les comptes courants d’associés revient à distribuer une quote-part de résultat plus faible que celle qui a été fiscalisée et socialisée.
9- Les associés sont alors privés d’une partie de leurs droits alors que la trésorerie est disponible et qu’ils ont payé des impôts et des cotisations sociales à titre personnel sur ces sommes disponibles qu’ils ne pourraient ainsi pas prendre.
10- Aucune disposition ne peut permettre de priver un associé de manière définitive des revenus sur lesquels il a été fiscalisé et socialisé (sauf pour constitution d’une réserve temporaire qui doit, en tout état de cause, être restituée en cas de départ d’un des associés).
d- Causes d’une mauvaise affectation en comptes courants d’associés
11- Nous avons pu constater cette « mauvaise pratique » d’affectation de résultat erronée dans quelques études de commissaire de justice ces dernières années. Deux causes principales peuvent engendrer cette situation à risque :
– un retraitement fiscal défectueux ou quasi-inexistant (voir ci-avant les méthodes de vérification rapide) générant ainsi un résultat fiscal erroné ;
– la problématique de l’affectation du résultat non résolu : puisque la comptabilité est tenue en engagement, l’affectation du résultat concerne nécessairement le résultat en engagement (oui). Le réflexe rapide amène à répartir ce résultat d’engagement dans les comptes courants des associés, générant ainsi une erreur de distribution.
e- Comment affecter le résultat d’engagement et distribuer le résultat de trésorerie ?
12- C’est effectivement ici que réside la subtilité de l’écriture d’affectation du résultat en présence d’une « double comptabilité » : Affectation du résultat d’engagement mais distribution du résultat de trésorerie. Quid de l’écart entre les deux pour équilibrer l’écriture comptable d’affectation du résultat ?
13- L’écart entre ces deux résultats doit être affecté en compte 110 000 compte de report à nouveau, qui a justement été créé au moment du passage en comptabilité d’engagement.
14- Le procès-verbal d’assemblée générale d’approbation des comptes doit comporter une résolution d’affectation du résultat de l’exercice précédent, constatant la distribution des droits à prélèvement pour chaque associé.
15- Cette résolution doit ainsi approuver le résultat en engagement, distribuer le résultat en trésorerie et affecter la différence en compte de report à nouveau.
Il est donc important dans les études individuelles et dans les SCP de s’assurer que le retraitement fiscal est correctement effectué pour obtenir le bon résultat fiscal, sous peine d’encourir un risque fiscal et social.
Dans les SCP, cette précaution est d’autant plus nécessaire, notamment juste avant qu’un associé arrive ou quitte la société. Si les résultats des exercices précédents soumis à impôts ont été minorés, les droits des uns et des autres seront faussés et les revenus soumis à impôts également, entrainant potentiellement une sous-fiscalisation ou une sur-fiscalisation des résultats passés et à venir.
En tant que cabinet spécialisé dans les professions juridiques et judiciaires (lien ici pour plus d’informations), nous rencontrons encore régulièrement ce type de situation notamment lors d’audit qui nous sont commandés suite à un litige ou une reprise de comptabilité.
Une solution pour éviter cette double comptabilité : passer en société de capitaux car ici la fiscalité suit bien la comptabilité (et pas l’inverse).
Il est donc encore temps de se pencher sur sa comptabilité, ou de se restructurer en société de capitaux, puisque celles-ci ne sont pas concernés par cette problématique, étant en comptabilité d’engagement et fiscalisées sur la comptabilité d’engagement (en savoir plus sur les restructurations, voir ici les principales questions).
Laïaché LAMRANI
Expert-comptable, spécialisé professions réglementées du Droit
Expert-conseil, Master de Droit et Fiscalité de l’Entreprise – DJCE
Chargé d’enseignement Panthéon Assas II
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