Société d’exercice des professions juridiques et judiciaires : Parution des décrets d’application
L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 réformant les sociétés d’exercice des professions juridiques et judiciaires, a été complété le 14 août 2024 par six décrets d’application relatifs aux professions juridiques et judiciaires, en précisant les modalités d’application des avancées apportées par ladite ordonnance :
- Décret n° 2024-874 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de commissaire de justice
- Décret n° 2024-872 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession d’avocat
- Décret n° 2024-873 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de notaire
- Décret n° 2024-875 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de greffier de tribunal de commerce
- Décret n° 2024-876 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation
- Décret n° 2024-858 du 1er août 2024 relatif à l’exercice de la profession de conseil en propriété industrielle sous forme de sociétés
L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 a refondu en un seul texte l’ensemble des règles régissant l’exercice en société des professions libérales réglementées.
Si l’essentiel du dispositif a été repris à droit constant, il contient un certain nombre d’avancés au niveau des quatre formes sociétales objets de cette ordonnance que sont les SCP, les SEL, les SPE et les SPFPL. Pour bien comprendre l’impact de ces décrets d’application, il convient de revenir à la réforme opérée par l’ordonnance du 8 février 2023.
Nos articles sur l’ordonnance du 8 février 2023 :
- Professions libérales réglementées : Analyse de la réforme sur les sociétés d’exercice
- L’ordonnance du 8 février 2023 bouleverse le paysage juridique des professions réglementées
Après un rappel de la genèse de cette ordonnance, nous nous arrêterons sur les points sur lesquels nous souhaitons attirer votre attention, introduits ou confirmés par ces décrets d’application. Ces décrets permettent notamment de (re)définir les modalités d’exercice sous forme de société civile professionnelle (SCP) ou sous forme de société d’exercice libéral (SEL). Ils fixent également les règles des sociétés en participation et des sociétés de participations financières de profession libérale (SPFPL). Si les principales dispositions sont reprises à droit constant, quelques nouveautés permettent de valider quelques avancées.
I- Rappel de la genèse d’un texte attendu
L’ordonnance du 8 février 2023 a constitué l’aboutissement d’une clarification attendu depuis plusieurs années, et notamment depuis 2015 et l’intronisation des sociétés de droit commun pour les professions libérales réglementées, « ouverture » qui a suscité une grande confusion.
En effet, la complexité des dispositions a pu suggérer que les sociétés d’exercice libéral étaient des formes juridiques autonomes alors qu’elles ne sont, pour les professions libérales réglementées, qu’une adaptation sur mesure des dispositions régissant les sociétés de capitaux de droit commun (SARL, SA, SAS, SCA).
Ainsi, l’accès aux SARL et aux SAS par des professions juridiques ou judiciaires avait créé plusieurs doublons via deux régimes extrêmement proches, sans que cette dualité ne soit justifiée, augmentant ainsi l’insécurité juridique pour les professionnels libéraux.
L’ordonnance du 8 février 2023 a mis fin à ce régime de coexistence de sociétés jumelles qui aura duré 7 ans. Désormais, l’exercice en société de capitaux passera nécessairement par les SEL, qui deviennent ainsi les sociétés dédiées aux professions libérales réglementées.
Au-delà de cette clarification, l’ordonnance a apporté un certain nombre d’avancées.
Cette ordonnance qui a refondu en un texte unique toutes les dispositions relatives aux sociétés d’exercices des professions libérales réglementées, restait dans l’attente des décrets d’application relatifs à chacune des professions.
Les décrets d’application relatifs aux professions juridiques et judiciaires, parus au JO le 14 août 2024, sont entrés en vigueur le 1er septembre 2024 et permettent d’y voir plus clair sur les modalités d’exercice des dispositions de l’ordonnance.
II- Revue de points sur les sociétés d’exercice
2.1- S’agissant de la création d’une société et des pièces à déposer :
Dès lors que la création d’une SCP (ou d’une SEL) est envisagée, il est nécessaire d’adresser au garde des sceaux, ministre de la justice, par téléprocédure sur le site internet du ministère de la justice un dossier contenant toutes pièces justificatives, et notamment d’une attestation du greffier du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire statuant commercialement du lieu du siège social, constatant le dépôt au greffe de la demande et des pièces nécessaires à l’immatriculation ultérieure de la société au registre du commerce et des sociétés ainsi que, lorsqu’un ou plusieurs des futurs associés doit contracter un emprunt et que la société est candidate à la nomination dans un office existant ou vacant, d’éléments permettant d’apprécier leurs possibilités financières au regard des engagements contractés (article 8 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
Fini donc la simple attestation du greffe relative au simple dépôt des statuts. Toutes les pièces nécessaires à l’immatriculation d’une SCP au RCS doivent être transmises au greffe via le guichet unique avant même de déposer son dossiers sur le portail OPM.
Autre point confirmé, la société ne peut entrer en fonction qu’après la prestation de serment de tous ses membres. Ceux-ci n’ont le droit d’instrumenter qu’à compter du jour où ils ont prêté serment (article 23 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
A noter que pour la création d’une SCP, le montant nominal des parts sociales ne peut être inférieur à 152,45 euros (pas de changement sur ce point – article 20). La survivance des mille francs prête à sourire.
Enfin, l’article 22 rappelle bien que les sociétés sont dispensés d’insérer dans un journal d’annonces légales les avis de constitution de société.
2.2- S’agissant des bureaux annexes et de leur ouverture/fermeture
Le garde des sceaux, ministre de la justice, peut, dans l’arrêté de nomination de la société ou par arrêté ultérieur, autoriser la société, si les associés en font la demande, à ouvrir des bureaux annexes au siège de chacun ou de certains des offices supprimés.
L’ouverture d’un bureau annexe est autorisée par le garde des sceaux, ministre de la justice, dans les conditions prévues aux articles 23, 24 et 27 du décret du 29 juin 2022 susvisé. La demande est adressée au garde des sceaux, ministre de la justice, par téléprocédure sur le site internet du ministère de la justice.
Le ou les bureaux restent attachés à l’office sans qu’il soit besoin, lors de la nomination d’un nouveau titulaire, de renouveler l’autorisation accordée.
Dans le cas d’ouverture d’un bureau annexe dans une commune autre que celle du siège de la société, les associés reçoivent compétence exclusive pour y instrumenter, dans les mêmes limites que si ce bureau constituait le siège de la société (article 10 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
2.3- S’agissant de l’Assemblée générale d’approbation des comptes dans une SCP
Dans les trois mois qui suivent la clôture de l’exercice d’une SCP, donc au plus tard le 31 mars 2023, les comptes annuels de la Société doivent être soumis à l’approbation de l’assemblée des associés. Approuver les comptes annuels N le 31 mars N+1 alors que la date limite pour télédéclarer la liasse fiscale afférente est fixé mi-mai N1 continuera donc de surprendre (article 32 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
2.4- S’agissant du droit de retrait dans les SCP … et dans les SEL
L’article 38 du décret confirme bien le maintien de ce droit qui reste donc d’ordre public : Lorsqu’un associé entend demander à la société de satisfaire à l’obligation à laquelle elle est tenue en application de l’article 25 de l’ordonnance du 8 février 2023 susvisée, il notifie sa demande par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à ses associés ainsi qu’à la société, qui remplit son obligation dans un délai de douze mois à compter de cette notification, sous condition suspensive, s’il y a lieu, de l’acceptation du retrait par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice.
La nouveauté de ce décret est l’instauration de ce droit de retrait dans les SEL avec la faculté d’introduire ce dispositif dans les statuts (article 186 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
2.5- S’agissant des sociétés de droit commun
L’une des évolutions majeures de l’ordonnance du 8 février 2023 a consisté en la suppression de la possibilité de constituer une société de droit commun pour les professions juridiques et judiciaires. Ainsi, depuis le 1er septembre, il n’est plus possible de créer une SARL, une SAS ou encore une SA pour ces professions.
Pour ceux qui ont fait le choix d’une société de droit commun et qui exerce en cette forme à ce jour, ils ont jusqu’au 1er septembre 2025 pour se mettre en conformité (article 260 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
Cette mise en conformité va consister en la mise à jour de leurs statuts, pour reprendre les dispositions de l’ordonnance du 8 février 2023 s’appliquant aux SEL. Ainsi, si ces sociétés pourront faire le choix (incongru) de continuer à s’appeler SARL ou SAS, leurs statuts devront être en tous points la copie conforme des statuts d’une SEL.
2.6- S’agissant des documents à transmettre annuellement à l’autorité compétente
Une fois par an, la société doit adresser à l’autorité compétente en matière d’agrément ou d’inscription à l’ordre professionnel dont elle relève, un état de la composition de son capital social et des droits de vote afférents, ainsi qu’une version à jour de ses statuts.
Sont également adressées par les associés de la société les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé.
Ces documents sont à transmettre avant le 1er mars de chaque année et seulement en cas de changement durant l’année qui précède (article 213 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
Il peut être donc judicieux, concernant les pactes d’associés et les règlements intérieur, d’en rédiger plusieurs selon les thématiques abordées, pour ne transmettre à l’autorité compétente que les clauses qu’elle est en droit de connaître.
III- Revue de points relatifs aux SPFPL
3.1- S’agissant du contrôle des SPFPL
Chaque société de participations financières de profession libérale de commissaires de justice fait l’objet, au moins une fois tous les quatre ans, à l’occasion de l’inspection d’une étude de commissaires de justice tenue par une société d’exercice dans laquelle elle détient des participations, d’un contrôle portant sur le respect des dispositions législatives et réglementaires qui régissent la composition de son capital et l’étendue de ses activités.
Chaque société de participations peut, en outre, être soumise à des contrôles occasionnels prescrits par le garde des sceaux, soit d’office, soit à la demande du président de la chambre nationale ou de la chambre régionale ou interrégionale. Le garde des sceaux désigne pour ces contrôles un ou plusieurs inspecteurs appartenant à la catégorie des inspecteurs commissaires de justice et, le cas échéant, un ou plusieurs inspecteurs appartenant à la catégorie des inspecteurs en comptabilité.
Ce contrôle est effectué par des commissaires de justice ou commissaires de justice honoraires et par des personnes qualifiées en comptabilité, désignés par la chambre régionale des commissaires de justice dans le ressort de laquelle est situé le siège de la société d’exercice parmi les inspecteurs agréés (article 239 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
3.2- S’agissant de la prise de participation de la SPFPL dans une société détenant une activité annexe
Les sociétés de participations financières de profession libérale de commissaires de justice peuvent également détenir des parts sociales ou actions de sociétés commerciales, sous réserve que l’objet de ces dernières soit la réalisation de toute activité que les commissaires de justice détenant la société de participations financières de profession libérale sont autorisés à exercer conformément aux règles applicables à la profession de commissaire de justice (article 232 du décret 2024-874 du 14 août 2024).
Il convient de saluer cette évolution qui était attendu et qui va permettre de regrouper dans un seul ensemble ses activités principales et accessoires.
3.3- S’agissant de la prise de participation de la SPFPL dans une SCI
Il convient de rappeler que l’objet social d’une SPFPL est la détention de parts sociale ou d’actions dans le capital d’une société d’exercice d’une profession libérale. A cet objet principal peut être ajouté la possibilité de détenir ou gérer tous biens immobiliers et de fournir des prestations de services à ses sociétés « filles », sociétés d’exercice dont elles détiendraient une participation à leur capital. Ces prestations doivent donc être destinées exclusivement aux sociétés dont elle détient des participations.
En effet, l’article 110 de l’ordonnance du 8 février 2023 complète ce dispositif en précisant que les SPFPL » peuvent détenir, gérer et administrer tous biens et droits immobiliers et fournir des prestations de services, sous réserve que ces activités soient destinées exclusivement au fonctionnement des sociétés ou groupements dans lesquels elles détiennent des participations. Sous cette réserve, elles peuvent notamment détenir des parts sociales ou actions de toute société à forme civile ou commerciale aux seules fins d’acquérir et d’administrer des immeubles.
Les dispositions de l’ordonnance du 8 février 2023 et des décrets d’application du 14 août 2024 sont entrées en vigueur le 1er septembre 2024.