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Création d’offices de commissaire de justice (3ème vague) : Dix points à retenir sur l’avis de l’ADLC

Conformément à la Loi Macron, qui prévoit une nouvelle vague de création d’offices de commissaires de justice tous les deux ans, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a rendu son nouvel avis le 7 juillet 2023, dans le cadre de la troisième vague de création d’offices. Celui-ci propose au gouvernement le nombre de création nécessaire département par département, après une analyse fine des données économiques du secteur des commissaires de justice.

L’objectif de l’ADLC vise à favoriser l’augmentation de l’offre et l’amélioration de la qualité de service avec le seul moyen mis à sa disposition : créer des offices de manière continue depuis 2018 jusqu’en 2029 via 5 vagues ininterrompues. A côté de cette disposition majeure, l’ADLC émet également des préconisations annexes visant à fluidifier l’intégration des nouveaux arrivants.

Pour atteindre ses buts, de nombreux arguments sont développés. Analysons ensemble les principaux qui figurent dans son rapport de 71 pages.

1- Rappel des chiffres résultant des deux premières vagues de création

La loi Macron du 6 août 2015 a instauré un mécanisme imposant la création de nouveaux offices de commissaires de justice (idem pour les notaires) tous les deux ans pour insuffler davantage de concurrence devant permettre de renforcer la proximité et/ou l’offre de service. Arrivant au bout des créations d’offices issues de la deuxième vague et sans plus attendre, l’ADLC, chargée de faire des préconisations après une étude approfondie du secteur d’activité, a rendu son rapport le 7 juillet 2023. Celui-ci fournit au gouvernement un éclairage plutôt orienté, maintenant le cap défini lors d’un autre temps (2015) malgré les multiples bouleversements qu’ont connu les commissaires de justice ces huit dernières années.

Proposition de création de l’ADLC pour la 1ère vague (2017-2019) : l’ADLC avait proposé près de 250 créations lors de la 1ère vague. Plus de 2200 candidatures qui ont nécessité un tirage au sort : nous avions assisté à des désistements par centaines (désistement de personne ayant obtenu le graal recherché et qui y ont renoncé volontairement) : 244 offices ont été créés.

Proposition de création de l’ADLC pour la 2ème vague (2021-2023) : l’ADLC avait proposé dans un premier temps 100 nouvelles créations (durant la crise covid !) puis a dû revoir sa copie (suite au rejet par le gouvernement de cette proposition), et finir par proposer 50 nouvelles créations, essentiellement dans les grandes agglomérations. Malgré des conditions beaucoup plus strictes, notamment pour réduire le nombre de désistements intervenus lors de la 1ère vague, il y a eu sans doute également plusieurs centaines de désistements sur tout le territoire (créations toujours en cours qui aboutiront à 50 créations d’ici la fin de l’été).

2- Un secteur d’activité en crise

À partir des dernières données économiques et financières consolidées disponibles pour la période 2017-2021, l’ADLC a effectué une analyse quantitative et qualitative de l’offre de commissaires de justice.

Au 31 mai 2023, ont ainsi été recensés 2 183 offices de commissaires de justice (1 820 anciens HJ et 363 anciens CPJ), dans lesquels exercent 3 382 commissaires de justice (2 987 anciens HJ et 395 anciens CPJ), ainsi que 331 commissaires de justice salariés.

Le chiffre d’affaires total de la profession en 2021 s’élève à un peu plus d’un milliard d’euros.

L’analyse des données économiques a permis à l’ADLC de constater que cette nouvelle profession, en pleine structuration, fait non seulement face aux conséquences de la crise sanitaire qui a durement « affecté les professionnels », mais également à une baisse de ses effectifs, à une dégradation de ses conditions d’activité à un déficit d’attractivité. Le « stock » de diplômés, en attente d’un office pour exercer de manière libérale sa profession n’a jamais été aussi faible.

Le taux de marge de la profession a chuté passant de 36 % entre 2010 et 2014 à moins de 30 % sur la période 2017-2021.

« Les données disponibles indiquent que les huissiers de justice ont été durement affectés par la crise sanitaire en 2020 et 2021. En effet, le chiffre d’affaires de la profession a baissé de 21 % en 2020, puis est remonté de 8 % seulement en 2021. Le résultat net a diminué plus fortement encore, – 31 % en 2020 et + 3 % l’année suivante ».

3- État des lieux de la demande : en berne

Au-delà des effets massifs de la crise sanitaire sur le secteur d’activité, il est constaté une baisse de la demande de manière structurelle en raison notamment des modes alternatifs de règlements de conflits et de l’évolution du mode de fonctionnement des entreprises et des organismes sociaux.

Un constat que nous partageons et qui aurait donc dû plaider pour un gel des créations le temps que les professionnels du secteur et notamment les créateurs des deux premières vagues puissent retrouver un niveau d’activité qui permette à tous de pérenniser leur activité.

4- Préconisation : 33 nouveaux offices à créer dans les 24 mois

Malgré le constat lourd plutôt réaliste sur un secteur en crise, l’ADLC, qui relativise dès le début de son rapport les données économiques obtenues du secteur en affirmant leur manque de fiabilité, préconise de créer entre 250 et 300 offices d’ici 2029, avec donc 33 nouveaux offices à créer sur 13 départements dans les 24 prochains mois.

L’une des grandes surprises de ce rapport résulte donc de l’incohérence entre l’analyse d’une part, plutôt réaliste et la préconisation de créer 33 offices d’autre part, déconnectée du réel. Comme s’il y avait eu deux rédacteurs qui ne s’étaient pas concertés.

Le détail du nombre de créations proposées, département par département est à retrouver en fin d’article.

5- Interrogations sur le fondement des préconisations de l’ADLC

L’un des arguments principaux résulte du simple fait que l’économie française a repris une phase de croissance suite à la crise sanitaire et que l’indice de chiffre d’affaires des activités juridiques (toutes professions confondues) serait également en hausse, sans tenir compte de la seule évolution spécifique du secteur tel que le décrit le tableau ci-dessus.

L’ADLC estime préserver la pérennité de la profession tant qu’elle s’assure que le chiffre d’affaires par professionnel libéral ne diminue pas de plus de 35 % à l’horizon 2029.

Comment est-il possible de poursuivre l’objectif de vouloir pérenniser un secteur d’activité déjà en crise, en estimant acceptable une baisse de son CA jusqu’à 35 % ?

Comment comparer le secteur des commissaires de justice, qui est le plus durement frappé par la succession de crises, aux autres métiers du droit qui ont retrouvé des couleurs beaucoup plus rapidement ?

Comment, avec le constat qui a été fait sur l’activité des commissaires de justice, peut-on aujourd’hui asséner tranquillement qu’entre 2025 et 2029, lors des quatrième et cinquième vagues, il devrait y avoir plus de 220 créations supplémentaires, après les presque 300 offices qui seront créées après les trois premières vagues de création d’offices ?

Comment se prononcer aujourd’hui avec autant d’assurance sur une période aussi lointaine que 2029 alors que nous vivons des temps très instables, changeants plus rapidement qu’à l’époque de l’écriture de la Loi Macron ?

Difficile de comprendre un tel décalage y compris pour les 14 départements ciblés puisque le constat de crise vaut également sur ces territoires. Partout, il y a des offices qui ont été fortement fragilisés, et des créateurs issus des deux premières vagues qui sont loin d’avoir atteint un niveau d’activité leur permettant de vivre correctement de leur travail. L’idéologie, datant d’un temps qui n’existe plus (2015), semble ici plus forte que le constat fait en 2023.

Pour s’assurer de la crédibilité des prévisions à six ans faite aujourd’hui en 2023 pour 2029, il suffit de consulter celles qui ont été faites en 2017 pour 2023 pour comprendre à quel point bâtir sur un temps aussi lointain peut être hasardeux.

Insatiable, l’ADLC demande maintenant « à brève échéance » la fin de l’exception pour l’Alsace-Moselle en souhaitant être associée à l’élaboration d’un projet d’extension de la liberté d’installation des commissaires de justice en Alsace-Moselle.

6- Baisse du nombre de professionnels

L’analyse de l’évolution du nombre d’offices et de professionnels libéraux est pourtant sans appel sur le nombre de professionnels : il est en baisse constante depuis 2019 alors que le nombre d’offices augmente. Pourquoi mettre à disposition plus d’offices pour moins de professionnels susceptibles d’y exercer ?

Au 30 mai 2023, on recensait 2 987 anciens huissiers de justice et 395 anciens commissaires-priseurs judiciaires, ces professionnels libéraux exerçant respectivement dans 1 820 et 363 offices.

Avec 12 commissaires de justice pour 100 000 habitants, Paris est de loin la zone d’installation avec la plus forte densité de commissaires de justice. Pour autant, il y aura de nouveau des créations préconisées à Paris (6) et aucune à Mayotte, zone ou l’on trouve la plus faible densité de commissaire de justice (un seul office).

Entre 2017 et mai 2023, le nombre de sociétés multi-offices est passé de 10 à 191. Aujourd’hui, ces sociétés regroupent 494 offices, soit plus d’un quart des offices. 65 % d’entre elles sont composées de 2 offices, mais les plus grandes comptent jusqu’à 9 offices. Dans 45 % des cas, les offices de la société sont situés dans des zones d’installation différentes.

7- Situation des offices créés depuis 2018

Au 30 mai 2023, ont été recensés 208 nouveaux huissiers de justice exerçant dans 193 offices créés et 39 nouveaux commissaires-priseurs judiciaires qui exercent dans 39 offices créés.

Parmi les 128 offices créés étudiés, presque tous ont commencé leur activité avec un seul titulaire. En 2021, soit après 2 ou 3 ans d’existence, 11 ont pris un associé et 6 emploient un huissier de justice salarié.

17 % de ces offices ont été créés par des sociétés déjà titulaires d’un office. Par la suite, plusieurs offices créés ont rejoint ou créé un réseau d’offices, de sorte qu’en mai 2023, 32 % des offices créés étudiés appartenaient à une société titulaire de plusieurs offices en 2021.

En 2021, le chiffre d’affaires moyen par huissier de justice titulaire d’un office créé est de 148 k€ euros, soit deux fois moins que la moyenne de la profession, mais la progression est remarquable (+ 52 % sur 2020-2021), et le taux de marge moyen est de 42 %, soit plus de 10 points de plus que pour l’ensemble de la profession.

8- Modalités de nomination dans les offices à créer

L’ADLC rappelle les modalités en vigueur pour le lancement de cette troisième vague de création, dès qu’elle aura été validée par le gouvernement. Sauf modalités contraires à paraître au moment de la validation, les règles devraient être identiques à la vague précédente.

– Dans les zones d’installation libre, la date d’ouverture des candidatures débute à compter du premier jour ouvré du deuxième mois suivant la publication de la carte et se termine dans un délai de dix-huit mois à compter de cette date.

– Dans les zones d’installation contrôlée, l’ouverture des candidatures débute à compter du premier jour ouvré du huitième mois suivant la publication de ladite carte et se termine dans un délai de douze mois à compter de cette date.

– Chaque demandeur, personne physique ou morale, ne peut déposer qu’une seule demande par zone. Par ailleurs, une personne physique ne peut demander sa nomination, que ce soit à titre individuel ou en qualité d’associé, qu’une seule fois par zone.

– En cas de demandes formées par une même personne et portant sur plusieurs zones, l’une quelconque de ses demandes est susceptible de donner lieu à la nomination de son auteur, sans possibilité pour lui d’exprimer un ordre de préférence.

– Les possibilités de renonciation des candidats sont encadrées. Lorsqu’il est tiré au sort, un candidat doit indiquer qu’il maintient sa demande dans un délai de dix jours francs suivant la publication du procès-verbal du tirage au sort. Passé ce délai, il est réputé y avoir renoncé, entraînant la caducité de l’ensemble de ses demandes de création d’office.

– Les candidats peuvent renoncer à une ou plusieurs demandes dans un délai de deux mois suivant la date d’ouverture du dépôt des candidatures. Passé ce délai, toute renonciation entraîne la caducité de l’ensemble des demandes de création d’office déposées par l’intéressé.

9- Préconisations annexes de l’ADLC

L’ADLC propose également, pour les deux prochaines années, quelques mesures complémentaires pour améliorer encore le dispositif régissant la liberté d’installation des commissaires de justice :

– Clarification de la méthode d’instruction des demandes et des modalités de nomination des candidats à l’installation, notamment lorsque les créations des offices prévus ne permettent pas l’installation du nombre de titulaires prévus.

– Allongement du délai entre la nomination pour un office créé et la prestation de serment, pour permettre notamment aux salariés de respecter leur préavis post-démission.

– Clarification et assouplissement des règles en matière de sollicitation personnalisée de manière à permettre aux professionnels de communiquer efficacement sur leur offre de service, de se faire connaître et de développer leur clientèle, sous réserve des règles déontologiques.

– Amélioration de la transmission à l’ADLC des informations sur l’activité des offices et de leurs bureaux annexes avec une proposition incongrue : tenir une comptabilité distincte pour les bureaux annexes pour permettre l’analyse de la part d’activité réellement imputable aux bureaux annexes.

10- Tableau récapitulatif des recommandations quantitatives par zone d’installation libre

Voici donc les treize départements dans lesquels il est préconisé de créer entre 1 et 6 offices. Pour certaines zones, nous constatons que les préconisations de création de cette troisième vague sont supérieures aux préconisations de la deuxième vague.         

L’ADLC a donc ainsi fondé ses préconisations (rapport complet à retrouver ici). Il ne reste plus qu’à attendre la validation du gouvernement qui devrait intervenir dans les prochains mois.

Laïaché LAMRANI

Expert-comptable, spécialisé commissaire de justice

Expert-conseil, Master de Droit et Fiscalité de l’Entreprise – DJCE

Chargé d’enseignement Panthéon Assas II

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Comments

  • 10 juillet 2023
    reply

    L’emploi par les commissaires priseurs de diplômés huissiers qu’ils associent ajoute au nombre des huissiers en activités. Mon grand-père signifiait ses actes à bicyclette on en est plus loin!
    L’abandon des chambres départementales est une erreur : les huissiers ne se connaissent plus; les meilleurs des médiocres occupent les postes de responsabilité; L’un de mes confrères qui avait exercé dans le Morbihan est mort il y a quelques jours à 102 ans: pas une annonce de la profession dans la presse.

  • 11 juillet 2023
    reply

    Notre métier change, nous passons d’une « corporation, profession réglementée » à un simple « secteur d’activité économique », tout en voulant de manière schizophrénique nous maintenir dans une fonctionnement corporatiste de profession réglementée.
    Dans ce contexte, difficile de mettre en place une stratégie d’entreprise claire et sereine, chacun avance en espérant avoir fait la bonne analyse de ce que va devenir ce métier….

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