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11 enseignements sur l’avis de l’ADLC sur la liberté d’installation des commissaires de justice

L’Autorité de la concurrence (ADLC) a rendu, conformément à l’article L. 462-4-1 du Code de commerce son avis sur la liberté d’installation des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires, devant permettre la 2ème vague de création d’offices d’huissiers de justice et de commissaires priseurs sur la période 2020-2022 (avec projection du nombre à créer sur les vagues suivantes). Après lecture complète de son rapport, voici les 11 enseignements que nous tirons de son analyse.

  • 1- Nombre de créations : La loi Macron du 6 août 2015 a instauré un mécanisme imposant chaque deux ans d’insuffler davantage encore de concurrence dans le secteur des commissaires de justice, grâce à « l’éclairage » orienté de l’ADLC qui dicte le rythme d’installation des nouveaux professionnels. Après plus de 200 créations lors de la 1ère vague, et malgré les désistements par centaines, la 2ème vague devrait comporter une centaine de nouvelles créations.

Certes, l’ADLC a réduit la voilure de moitié, mais est-ce suffisant alors que toutes les places de la 1ère vague n’ont pas pu trouver preneurs, faute de candidats ?

  • 2- Conséquences sur la viabilité des premiers créateurs : L’on constate ainsi, qu’après avoir contribué à l’installation de deux cents nouveaux professionnels en quelques mois (l’essentiel ayant été installé en 2019, après la mise en place d’une procédure balbutiante en 2018), l’avis du 2 décembre 2019 propose donc l’installation de 100 nouveaux professionnels sur les mêmes zones d’installation que la 1ère vague.

Comment, d’un point de vue économique et financier, les 200 premiers professionnels installés et à peine opérationnels pourraient-ils résister économiquement à cette nouvelle vague, et aux trois suivantes, tout cela juste après s’être installés, et alors qu’ils sont encore très loin d’avoir stabilisé leur activité et atteint le seuil de rentabilité ? L’ADLC, qui tient tant, et le démontre à longueur de rapport, à l’indépendance et l’autonomie sans entrave pour ces huissiers nouvellement installés, n’est-elle pas en train d’entraver l’exercice de ces nouveaux entrepreneurs ?

  • 3- Délai de 2 ans ou installation permanente : Ce fameux délai de deux ans (qui devait être à l’origine de 5 ans), après lequel est imposé une nouvelle vague d’installation durant au moins 4 sessions, n’aura été en réalité que de quelques mois entre les deux premières vagues. Le délai pourrait même être inexistant entre les derniers installés de la 1ère vague et les premiers de la deuxième, de telle sorte qu’on se retrouverait en période d’installation permanente.

On se demande comment on en est arrivé là, alors que l’idée de départ semblait raisonnable : 5 ans durant lesquels les nouveaux installés avaient le temps de poser leurs fondations en bâtissant un modèle économique viable, dans le respect des tarifs et de la déontologie avant de voir arriver les suivants. De 5 ans, nous sommes passés à une installation quasi-permanente. Ces 5 ans vont dans la réalité ne pas dépasser 5 mois et semble installer dans l’inconscient collectif ce qui est redouté : la liberté totale d’installation sans restriction.

Où est l’intérêt du citoyen, de la profession et de la justice d’aller aussi vite en besogne ?

  • 4- Maillage territorial : La zone d’installation libre est à l’échelle d’un département. Qu’avons-nous observé sur les choix opérés par les presque 200 premiers professionnels qui se sont installés lors de la 1ère vague ? La plupart d’entre eux ont choisi les mêmes lieux, très proches des centres villes, proches des agglomérations. Nous avons assisté à des situations ubuesques où, le même jour, paraissaient au journal officiel la nomination de quatre offices créés dans la même ville de moins de 80.000 habitants !

Comment une telle situation permet-elle d’améliorer le maillage territorial ? Comment permettre le développement économique de ces nouvelles entreprises qui se découvrent voisines au 1er jour de leur exercice, ayant choisi le même lieu d’installation sans le savoir en amont ? En quoi cette situation sert l’objectif « d’implantation d’office … pour renforcer la proximité ou l’offre de service » ?

  • 5- Nommé après avoir été « disqualifié », et démis de leur fonction d’huissier salarié : Nombre de nominations ont eu lieu plus d’un an après le tirage au sort et ont parfois créé des situations rocambolesques. Combien d’« heureux » bénéficiaires d’un office créé l’ont été alors que, lors dudit tirage au sort, ils avaient été placés hors course, arrivant après la 200ème place sur une zone d’implantation ou il y avait moins de 10 places ? Après une telle relégation qui les a disqualifié d’office (en théorie seulement…), ils ne s’attendaient sûrement pas, alors qu’ils avaient abandonné ce projet de création vieux de 2 ans, à se découvrir soudainement dépossédés de leur statut d’huissier salarié (pour ceux qu’ils l’étaient) sur le champ et automatiquement en charge d’un office créé, parfois à des centaines de kilomètres de leur domicile (et au moins dans un cas expédié dans les DOM-TOM). En effet, nombre de nominations ont été découvertes directement sur le Journal Officiel lors de la parution de l’arrêté attribuant officiellement l’office et les destituant de leur statut d’huissier salarié, à la surprise générale, tant de l' »heureux »élu(e) que de ses employeurs, se retrouvant sans huissier salarié. Cette situation impose donc pour chaque candidat au prochain tirage au sort de mettre en stand-by l’ensemble de ses projets professionnels et quel que soit sa position lors du tirage au sort, jusqu’à épuisement du stock disponible. Drôle de situation, créée par une réforme dont l’un des objectifs est (toujours ?) de favoriser l’activité économique.

Cette deuxième vague va-t-elle souffrir des mêmes travers ou peut-on espérer que toutes les nominations aient lieu rapidement après le tirage au sort ? Avec une information en amont des candidats qu’afin qu’à tout moment, ils puissent savoir à quel niveau se situe leur dossier…

  • 6- Désistements par centaines : Derrière les 2400 candidatures, le rapport de l’ADLC nous apprend qu’il y avait 600 candidats, soit une moyenne de 4 candidatures par candidat ! L’ADLC révèle également qu’il y a eu plus de 400 désistements. Un désistement correspondant au refus d’un candidat se voyant proposer un office de manière certaine, donc après élagage de ses autres éventuelles candidatures, cela signifierait, comme il y a eu 600 candidats et 400 désistements, qu’on arriverait à peine aux deux cents offices crées.

Si donc 100 % des vœux ou presque ont été exhaussé, comment alors pourvoir les créations à venir, estimées, selon l’ADLC entre 450 et 500 sur les trois prochaines vagues ?

  • 7- L’ADLC juge et partie : Malgré ces constats frappants qui n’avaient pas été prévus à l’origine, « L’Autorité a considéré, d’une part, que les options retenues pour l’élaboration de la première carte demeuraient pleinement pertinentes et que le maintien d’une méthode identique était un gage d’équité et de lisibilité pour l’établissement de la deuxième carte, peu de temps après la première.. ».

L’ADLC constate par ailleurs, suite à son diagnostic quantitatif et qualitatif de la période que « des créations d’offices récentes, qui ont permis d’endiguer la baisse du nombre de professionnels libéraux, mais pas encore de rattraper les effectifs de 2014 ».

Autrement dit, le simple fait que ces créations aient pu avoir lieu est le signe éclatant du succès des préconisations. L’on se surprend donc à voir les effectifs augmenter… parce qu’on ait décidé de les augmenter ! Au-delà de cette lapalissade qui n’a pas d’intérêt à être relevée, il est problématique que l’ADLC soit, en la matière, juge et partie, se retrouvant en situation d’autocontrôle et évaluant elle-même ses propres préconisations.

Un organe indépendant ne serait-il pas plus pertinent pour dresser le bilan et les leçons à tirer des préconisations de l’ADLC, après un bilan circonstancié ?

  • 8- La baisse de la marge, preuve du succès : Autre critère de succès claironné par l’ADLC qui paraît pour le moins contestable :  un chiffre d’affaires assez homogène et globalement stable sur la période et un taux de marge qui connaît un léger fléchissement par rapport à la période 2012-2014. En effet, pour 50 % des offices ce taux dépasse 33 % alors qu’il dépassait 36 % sur la période précédente » .

Voila donc qu’on se félicite de la paupérisation d’un secteur d’activité, puisqu’il est évident que ces taux n’étant qu’une moyenne, ceux qui sont les plus fragiles ne se sortiront pas de ces difficultés.

Au-delà de ce fait, l’argument est spécieux puisque si le chiffre d’affaires reste stable, c’est que les huissiers n’ont en moyenne pas perdu de matière (en moyenne) au profit notamment des nouveaux installés, la baisse du taux de marge n’étant que l’impact d’une hausse des charges. Argument d’autorité d’autant plus précoce que pour l’écrasante majorité d’entre eux, les nouveaux installés n’ont pas pu clore un premier exercice complet

Sera-il possible, lors de la prochaine parution, de faire un premier bilan économique chiffré de la première vague (combien d’offices créés sont encore en exercice ? Quel est leur chiffre d’affaires moyen ?

Leurs chiffres seront plus intéressants que ceux de la moyenne nationale qui diluent tout le monde.

  • 9- Chiffre d’affaires par tête « libérale » : L’un des critères de l’ADLC pour apprécier le potentiel de création dans chaque zone d’installation est le chiffre d’affaire moyen, avec un seuil qu’elle a fixé à 325 000 € par an et par huissier de justice libéral. Ce raisonnement par le chiffre d’affaires n’est pas pertinent car il n’est pas le meilleur indicateur d’une surperformance d’un huissier de justice libéral ou d’un secteur d’activité en général. Le chiffre d’affaires par « tête », huissiers et salariés cumulés, semblerait plus pertinent. Un huissier avec 12 salariés fera bien plus de chiffres d’affaires que 3 huissiers avec un seul salarié. Il est cohérent qu’à 13, on soit plus performant qu’à 4.
  • 10- Densité avant et après la fusion des professions :

La densité d’huissiers de justice titulaires en 2018 est la suivante :

Densité des commissaires de justice, si fusion il y avait aujourd’hui :

« Si la fusion avec les commissaires-priseurs intervenait aujourd’hui, la France compterait 3 341 commissaires de justice répartis sur l’ensemble du territoire national ». Paris demeurerait la zone d’installation la plus pourvue avec 224 commissaires de justice, suivie des Bouches-du-Rhône, du Nord et du Rhône (chacune de ces trois zones compterait plus de 100 professionnels). Au contraire, la Creuse, les Hautes-Alpes, la Lozère et Mayotte en compteraient moins de 10. La médiane s’établirait à 27 commissaires de justice par zone d’installation.

Pourquoi ces perspectives, constatées par l’ADLC, ne contribuent-elles pas dès aujourd’hui à revoir les zones de créations pour un maillage territorial plus judicieux ? Il est aisé de constater, sur les deux premières vagues, que plus il y a d’études sur un département et plus il en est créé, accroissant ainsi la densité de professionnels sur un même territoire, sans améliorer le maillage au niveau national.

11- « Garantie » apportée par l’ADLC pour préserver la profession : Rassurez-vous chers huissiers de justice, l’ADLC vous fait une promesse, afin de ne pas « bouleverser les conditions d’activités des offices existants » et ne pas porter atteinte à leur valeur, ses préconisations ont été calculées pour vous faire perdre, qu’au maximum 35% de votre chiffre d’affaires à l’horizon 2026, à la suite des créations envisagées !

Et pour y parvenir, sont prévus d’ici cette date jusqu’à 500 nouvelles créations sur tout le territoire, sans évidemment compter celles qui s’effectueront sur les zones d’installation controlée.

Quel secteur d’activité s’est retrouvé renforcé, après une baisse générale du chiffre d’affaires moyen de 35 % ?

        

Il ne reste plus qu’à attendre la validation du gouvernement qui ne devrait plus tarder, l’avis de l’ADLC datant du 2 décembre 2019.

Laïaché LAMRANI

Expert-comptable, spécialisé professions réglementées du Droit

Expert-conseil, Master de Droit et Fiscalité de l’Entreprise – DJCE

Chargé d’enseignement Panthéon Assas II

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